Soutenances de thèse » Inaccessibilité du service d’État Civil en milieu rural

Inaccessibilité du service d’État Civil en milieu rural

Dans un pays où près d’un enfant sur trois n’est pas enregistré à l’état civil, obtenir un simple acte de naissance relève souvent de l’impossible, surtout en milieu rural. L’étudiante en Sciences juridiques à l’Université de la Fondation Dr Aristide, Sancarah Merveille, a passé des mois à étudier ce phénomène méconnu mais aux conséquences dramatiques. Elle a soutenu avec succès, le lundi 19 mai 2025, son mémoire intitulé : « L’inaccessibilité du service d’État Civil dans les milieux ruraux en Haïti, face au droit à l’identité : cas du Département du Centre d’Haïti », une étude qui jette une lumière crue sur un système à bout de souffle.

Dans ce travail, Sancarah s’intéresse au lien fondamental entre l’accès au service d’État Civil et l’exercice du droit à l’identité. Selon elle, ce droit, inhérent à toute personne humaine, se concrétise à travers l’État Civil qui est un service Public capable d’enregistrer la naissance de toute personne par le biais d’un fonctionnaire dit Officier de l’État Civil (OEC).

La future professionnelle du droit constate pourtant que dans les zones rurales du pays, ce service n’est pas accessible, compromettant ainsi l’un des droits humains les plus élémentaires. Ce constat l’a amenée à poser une question centrale : « En quoi l’inaccessibilité du service d’État Civil a-t-elle des conséquences néfastes sur le droit à l’identité ? »

Elle émet l’hypothèse selon laquelle « L’inaccessibilité du service d’État Civil constitue une entrave au droit à l’identité dans la mesure où il entraîne l’absence d’une jouissance de l’exercice des droits civils; l’absence d’une protection émanant de l’État qui pourrait déboucher sur l’inexistence même de la personne en raison de l’indivisibilité des droits humains. »

L’objectif de sa recherche est clair : « identifier les causes de la violation du droit à l’identité liées à l’inaccessibilité du service d’État Civil, notamment dans le département du Centre ». Pour y parvenir, Sancarah a adopté une méthodologie qualitative, combinant recherche documentaire et entretiens semi-dirigés. Elle a ainsi pu interroger sept des treize Officiers d’État Civil présents dans le département. Ces témoignages lui ont permis de dresser un état des lieux alarmant.

Parmi les principaux constats :

  • Les OEC manquent cruellement de moyens matériels (bureaux, registres, formulaires). Ce déficit les pousse à exiger des cotisations, dont les montants varient selon les communes ;
  • De nombreux enfants de plus de dix ans ne possèdent toujours pas d’acte de naissance ;
  • L’éloignement géographique entre les bureaux d’État Civil et les sections communales complique ou empêche les parents de déclarer la naissance de leurs enfants.

Certaines communes sont confrontées à des situations particulièrement critiques :

  • À Boucan-Carré, les registres sont rongés peu à peu par les poutres en bois d’un local inadapté ;
  • À Savanette, l’OEC officie depuis la cour de son frère, faute de bureau ;
  • À Saut-d’Eau, il n’y a plus d’OEC depuis 2020 ; c’est un clerc qui reçoit les déclarations, signées ensuite par l’OEC de Mirebalais ;
  • Dans des sections comme Montagnes Terribles, Rivières Cadeau, Destinvil ou Lassègue, les habitants délèguent un “bon samaritain” pour déposer et récupérer les déclarations de naissance.

Face à ce désastre, Sancarah propose des pistes concrètes :

  • Augmenter le budget de fonctionnement du service d’État Civil afin d’assurer un approvisionnement régulier en matériel ;
  • Moderniser le système en le rendant informatisé et universel.
  • Mettre en place un programme de recyclage semestriel pour les OEC.
  • Adopter une nouvelle loi pour corriger le manque de proximité entre les bureaux d’État Civil et les sections communales, la législation actuelle datant de 1974.

À travers ce travail rigoureux, Sancarah MERVEILLE attire l’attention sur une problématique souvent négligée, mais pourtant au cœur de la citoyenneté et des droits humains. Son mémoire constitue une contribution significative à la réflexion sur l’accès à l’identité légale en Haïti, particulièrement pour les populations rurales. Son mémoire, salué par le jury, pourrait servir de base à une future réforme.

 

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